DISCOURS DE LA PRÉSIDENTE DE L’APIPD LORS DE SON ÉLÉVATION AU GRADE D’OFFICIER DE L’ORDRE NATIONAL DU MÉRITE LE MERCREDI 28 SEPTEMBRE A LA RÉGION ILE DE FRANCE

Monsieur le professeur Roux, cher parrain, Honorable assemblée, mesdames, mesdemoiselles, messieurs.

Aujourd’hui, au terme ou presque d’une année 2022, particulièrement marquée par les guerres, les virus et les incertitudes, cette récompense qui m’est attribuée doit résonner plus encore dans le cœur de chaque personne impliquée de loin ou de près dans le combat que nous menons depuis tant d’années contre une maladie génétique effroyable, la drépanocytose.

En préalable, je souhaite saluer Madame Annick GIRARDIN, ancienne Ministre des outre-mer à qui j’adresse un salut déférent et respectueux et qui est à l’initiative de cette nouvelle distinction.

Pas d’engagement possible et pérenne, sans soutien indéfectible et précieux : une femme opiniâtre, illustre cette détermination inaltérable de lutter à nos côtés en faveur de la défense de ceux qui sont atteints de la drépanocytose, j’ai nommé Mme la présidente de la Région Ile de France, Valérie Pécresse, que je remercie très sincèrement : merci d’avoir cru en moi, d’avoir m’avoir fait confiance et enfin merci d’avoir très souvent permis la concrétisation de nos actions.

Mon ami de très longue date, Patrick Karam. Merci tout simplement, merci pour cette belle amitié et merci pour ton engagement fort et permanent à nos côtés. Tu as pleuré avec moi et en même temps tu essuyais mes larmes, tu as pris des nouvelles de Taylor tous les jours à chaque hospitalisation de même que celles de mon mari à l’annonce de sa maladie. C’est grâce à toi que nous obtenons des subventions. En fait, tu as toujours été là.

Impossible de rappeler mon combat sans évoquer mon fils TAYLOR : il est et reste à jamais la genèse même de mon âme de guerrière, l’origine de ma lutte, ma mission ici-bas, mon engagement de par le monde.

Je veux remercier aussi Maël DISA, délégué interministériel à l’égalité des chances des français d’outre – mer, qui depuis sa prise de fonction n’a jamais cessé de lutter à mes côtés.

Monsieur Arthur Haussant, ancien Directeur de l’Hôpital Tenon et Président d’honneur de notre association, toi aussi tu as cru en moi, merci

Je suis consciente de l’honneur que vous me faites toutes et tous, et c’est avec reconnaissance et humilité que je l’accepte, avec néanmoins, une pensée émue pour toutes ces femmes et ces hommes, inconnus, invisibles, qui agissent, dans l’ombre, et qui méritent toute notre considération.

Je me suis toujours demandé pourquoi on décorait des gens qui ont choisi, voire calculer ce qu’ils devaient faire. Et puis me voilà en possession de plusieurs distinctions : certains les réclament, d’autres comme moi se voient les offrir et on ne peut qu’accepter pour son équipe, pour le combat mené, pour tous les enfants innocents, à peine venus au monde, et pour bon nombre déjà condamnés.

Samaritaine de naissance, mes origines martiniquaises, aussi modestes soient-elles, ont fait de moi, celle qui aujourd’hui s’adresse à vous. Elles ont probablement renforcé cette rage viscérale de surmonter les obstacles et d’atteindre des objectifs qui me transcendent : aider les sans-voix, ceux qui souffrent en silence, ceux qu’on ne voit pas, ceux qui ne comptent pas.

Douzième d’une fratrie de 14 enfants, sans parler de ceux que la vie n’a pas favorisés et que mes parents ont adoptés, devenus membres à part entière de cette famille déjà nombreuse, j’ai eu une enfance heureuse, entourée de ma tribu, au sein de laquelle j’ai connu des moments d’intense bonheur mais également de profonde tristesse en ouvrant les yeux sur l’injustice qui gouvernait le monde et brisait des vies !

Mon père, parti trop tôt, de même que ma mère, ont été mes premiers guides : ils m’ont appris la confiance en soi et en l’autre, la générosité, le courage et le goût de l’effort personnel. J’ai toujours appliqué ces valeurs qui m’ont façonnée depuis si longtemps et pour longtemps encore, car le combat contre la drépanocytose continue et mes objectifs ne sont pas entièrement atteints !!!

Quand j’étais petite, comme beaucoup, je rêvais de devenir reine, je me disais que mon prénom « Jenny », avec un « y », ne rimait pas avec ceux des reines dont on nous apprenait les noms à l’école. Mais c’est le chef d’œuvre de Victor Hugo, Les Misérables, qui a déclenché en moi cette révolte indicible : dans mon esprit de petite fille, j’étais Cosette, et je me disais qu’un jour, devenue adulte, je vengerais tous ces enfants martyrs, oubliés et maltraités, dans l’indifférence générale.

Rien de plus intolérable pour moi que l’injustice, une inconnue dans l’équation familiale : Issue, comme je l’ai dit, d’une famille nombreuse, nous avons toujours mangé à notre faim. Ma mère avait cette citation qui a bercé notre jeunesse : « la main qui donne, reçoit » ; nous avons grandi dans la religion, la foi. Mon père avait coutume de nous prendre sur ses genoux pour nous chanter des chansons de sa création qui parlaient toujours d’amour et de générosité. Il disait qu’on pouvait être riche sans avoir beaucoup d’argent, riche dans son cœur.

C’était le plus généreux des hommes. Je n’ai jamais su comment, mais il savait qu’un jour, je défendrais des causes et que, si jamais, lors de mes déplacements en avion, il y avait un crash, je devais sortir coûte que coûte des débris de l’appareil et faire un bond le plus haut possible pour rebondir là où on aurait besoin de moi. J’ai toujours été très attentive à ce qu’il disait et, petit à petit, est née en moi cette personne qui effectivement devait vouer son existence aux autres. A la moindre injustice, je ripostais en lieu et place de la victime. Très tôt, les gens, surtout mes camarades, s’adressaient à moi pour les défendre. D’ailleurs on m’avait attribué un surnom : Jenny, la fée.

Ma mère était marchande de poissons et mon père coupeur de canne, avec un sempiternel credo, devenu le mien : « aimer, aider, donner, respecter ».

A peine éjectée du ventre maternel, j’ai été oubliée sur le sol glacé de la cuisine par une mère semi-inconsciente, qui ne se remettait pas de la disparition récente de son jeune fils, disparu en mer dans des conditions dramatiques.

Ma vie débute ainsi, dans la survie et la préservation. Elle a été l’objet de mon premier combat. Si elle ne meurt pas maintenant, elle « vivra » et fera quelque chose de sa vie, avait-on prophétisé à mes parents, impuissants à réagir devant la précarité de mon état de santé, quelque part entre la vie et la mort !

Marquée à même la peau d’un étrange stigmate, je n’ai dû mon salut qu’à une inexplicable volonté de vivre, qui m’a agrippée au fil ténu de la vie. Dieu a décidé de préserver ma vie, pour que je puisse à mon tour la dédier à autrui.

Pas de prénom préalablement choisi pour cette petite fille arrivée trop tôt ou trop tard ! Allez, on l’appellera Jenny, a décidé ma mère, sans réel enthousiasme. Mon père s’est exécuté une première fois à la maison, et une seconde fois à la mairie, où on lui a imposé un deuxième prénom, de surcroit, masculin, Stanislas, celui qui se tient debout pour recevoir l’admiration de tous…

Le rêve et la solitude ont été des amis fidèles. D’ailleurs, le premier est, et restera, l’un des moteurs de ma vie. C’est lui qui m’encourage chaque jour à lutter contre la drépanocytose, maladie de la différence, vulgairement baptisée maladie des noirs. Je suis convaincue qu’il y a des rêves qui doivent devenir réalité, cela ne tient qu’à nous. Et, le chemin parcouru m’incite aussi à le croire.

L’école m’a, sans conteste, donné le goût de l’étude et a entretenu mon inextinguible soif d’apprendre. Quelle est la valeur des différents diplômes obtenus ? En ce qui me concerne, aucune valeur intrinsèque. Leur seule vertu réside, à mes yeux, dans une reconnaissance officielle de compétences visant à approcher et donc à soulager la souffrance humaine. En effet, mes différents titres en psychologie, en langues, en médico-social, m’ont permis, avant tout, d’établir un contact avec l’individu qui souffre et ainsi accomplir ma mission : apaiser la douleur humaine. Ils m’ont ouvert les portes des hôpitaux, des mouroirs, des hospices, des prisons, des églises, des conférences internationales, des cabinets feutrés et indifférents des ministère.

Aussi loin que je me souvienne, le principe de vie a toujours été mon seul et unique guide.
Je n’ai jamais envisagé une vie qui ne soit tournée vers autrui. Le bien-être de l’individu souffrant et diminué est ma seule ambition, ce vers quoi je tends depuis des décennies.
Le sens du devoir et du secours apporté à ceux qui sont dans la détresse ont toujours motivé mes actions.

Dès mon plus jeune âge, au lieu de rêver à tout ce qui pourrait m’arriver de merveilleux, je pensais déjà à tous ces bambins qui mouraient de faim, faute de soins, en Afrique et ailleurs. Plus tard, avec l’aide de quelques amis, nous avons décidé de récupérer des médicaments récoltés çà et là, afin de les acheminer vers ce continent ravagé.

« Je deviendrai la marraine de tous ces enfants », me disais-je souvent, leur dédiant les poèmes que j’écrivais pour eux. Les mots embellissent souvent certaines réalités.

A 18 ans, je rejoins Paris pour poursuivre mes études. Passionnée par les études et la recherche, je m’investis dans des études de psychologie en vue de devenir psychologue en milieu carcéral. Parallèlement aux études, je rejoins une association de lutte contre l’exclusion sociale, avec la ferme intention de venir en aide aux personnes sans domicile fixe. Dans ma commune de Saint-Ouen, j’aidais à l’encadrement des jeunes délinquants et participais à l’aide aux devoirs des enfants en difficulté scolaire. Œuvre que j’aurais voulu continuer si la vie n’en avait pas décidé autrement.

Il y a 30 ans, la froideur et, paradoxalement, la brutalité de l’annonce diagnostique par téléphone, de la maladie de mon plus jeune fils, Taylor, atteint de la forme la plus sévère de la drépanocytose : une maladie génétique alors totalement méconnue, a déclenché en moi, ce qui est, et demeure le combat de ma vie. Aucune arme en ma possession si ce n’est l’amour d’une mère atteinte en plein cœur.
C’est dans un esprit optimiste que je m’engage à l’APIPD (Association Pour l’Information et la Prévention de la Drépanocytose), afin de mettre mes compétences au profit de ceux qui souffrent de cette tueuse sanguinaire. Par la même occasion, je transcendais ma propre douleur.
Je déclarai donc la guerre à cette maladie et bien vite, je me suis rendue compte que ce n’était pas seulement la maladie qui nous épuisait mais aussi l’inertie des uns, le laxisme des autres, voire la désinvolture et la phallocratie pour aboutir à la discrimination, sans parler de l’indifférence totale qui caractérise la plupart des personnes qui détiennent une petite part d’autorité en la matière et qui refusent obstinément de s’impliquer dans ce genre d’aventures. J’aurais pu baisser les bras, cependant avec une volonté farouche et une foi inébranlable, je résolus de relever ce que je considérais comme un défi. La drépanocytose est une maladie entourée de tabous, mais quand la souffrance vous anéantit, il ne reste qu’une alternative : crier ou se taire !

Depuis lors, mes activités de combattante ont largement pris le dessus sur mes autres activités professionnelles. Il me fallait travailler dans l’urgence mais pas dans la précipitation, car le temps pressait et la recherche sur cette pathologie en était encore à ses balbutiements. Je décidai alors de mieux faire connaitre la pathologie pour une meilleure prise en charge. Toujours bénévolement, j’interviens dans certaines facultés de médecine et IFSI, entre autres établissements, pour faire part de mon témoignage et je donne des conférences à travers le monde. L’APIPD, mon association fait partie de diverses structures de santé.

Par ailleurs, il fallait couper la mauvaise plante à la racine. Comme par hasard, le destin me ramène vers ce continent qui m’a fascinée à mes débuts : l’Afrique ! C’est l’endroit où il y a le plus de drépanocytaires et, à force de rêver que j’aide les enfants en danger, mon rêve est devenu réalité. Me voilà donc partie vers ce grand continent qui m’a hantée durant toute mon adolescence. Là-bas, dans certains pays, des enfants drépanocytaires sont tués. Il fallait éduquer, informer, sensibiliser. La maladie sévit, dans certains pays, 1 enfant sur 2, malade, n’atteint pas l’âge de 5 ans.
Après l’Afrique, je me suis mise à parcourir le monde, avec les mêmes objectifs : sauver les enfants drépanocytaires. Aujourd’hui, j’ai parcouru plus de 100 pays, pas en touriste, mais pour témoigner là où le mal frappe. Mon objectif principal est d’aider, mais aussi de recueillir des informations, d’observer, d’apporter un peu de soutien aux plus démunis, aux malades, voire à ceux qui ne pouvaient pas se déplacer. Je me reste profondément engagée dans de multiples causes humanitaires.

La lutte contre la drépanocytose me tient particulièrement à cœur. Pas seulement à cause de mon fils, mais compte tenu de ce que j’ai vu par le monde. Mes heures de travail, je ne les compte plus, ni d’ailleurs le nombre de mes activités. Je ne regrette rien de ce que j’ai pu faire : si c’était à refaire, je le referai sans aucune réserve.

Rien ne me prédestinait à prendre les armes pour lutter contre cette pathologie, pourtant aujourd’hui, la volonté inébranlable de signer, tôt ou tard, l’acte de décès de la drépanocytose, est devenu LE COMBAT DE MA VIE !

Aujourd’hui, comme chaque jour pour nous qui luttons bec et ongles depuis plusieurs décennies, sans réel moyen ni réelle reconnaissance, une pensée forte, pour les milliers de malades drépanocytaires partis trop tôt, pour ma petite nièce Shirley emportée au printemps de sa vie, par ce monstre sanguinaire.

Encore un mot, si vous le permettez : les combats ne se conjuguent jamais à la première personne, je ne le sais que trop. Merci à ma grande et précieuse famille : Alex, mon époux, qui n’a jamais vacillé devant la difficulté, et Dieu sait combien il est difficile, et je le reconnais aisément, d’être mon époux, Merci à mes enfants Samuel, Mandy, Taylor, ah, mon Taylor, que de nuits blanches et de journées noires ,avons-nous passées à lutter contre la mort ou simplement pour ta survie, Merci à mes petites filles, mes frères et sœurs, Merci à mon équipe, l’APIPD, un trésor inépuisable pour les malades drépanocytaires, mes matelots au grand cœur, vous avez fait de moi votre capitaine en sachant que le navire pouvait couler à tout moment, vous m’avez fait confiance et je vous en remercie infiniment, mes amis, ceux qui sont restés pour essuyer mes larmes, qui m’ont toujours encouragée.

Merci mon Dieu, source éternelle de ma force, qui me guide dans l’obscurité et l’obscurantisme de notre monde.

Depuis 3 décennies, avec mon équipe, nous avons réussi à sortir la drépanocytose de l’anonymat, aujourd’hui 4ème priorité de santé publique, après 30 ans de lutte, et « tous les cris et SOS souvent perdus dans les airs »

En jetant un regard sur mon parcours, je me dis que la « petite négresse onomatopée que certains m’avaient affublée », devenue par la force des événements, une femme aguerrie, doublée d’une militante plus que convaincue, a contribué, dans une certaine mesure, à sortir la drépanocytose de l’anonymat, afin que tout un chacun soit conscient que cette pathologie destructrice risque de provoquer « un génocide » si on ne l’affronte pas avec les armes adéquates.

Oui, il faut faire disparaitre la drépanocytose de la surface de la terre ! Et pour cela, je donnerai ma dernière goutte de sang pour que ce vœu se réalise, advienne que pourra !

Le travail que je continue d’accomplir au quotidien avec mon équipe me renforce chaque jour, davantage, dans mes convictions. Je mets toute mon énergie dans cette bataille, inégale pour le moment. Mais je suis persuadée que l’issue est proche : les consciences commencent à se réveiller. Mon unique but c’est de d’acter la fin de la drépanocytose, pas celle des malades…

Chaque jour, je me répète que s’être fait soi-même est une condition fort honorable, mais le mieux serait de considérer que « l’œuvre » n’est pas encore achevée… Ainsi, je continuerai de tailler la montagne du désespoir en diamant de l’espoir (Martin Luter King)

Je suis consciente que je ne suis ni mère Teresa, ni sœur Emmanuelle, encore moins l’abbé pierre. Une chose est certaine, cependant : que je sois dépouillée de ce que je possède, que je sois humiliée ou que je sois rejetée, RIEN ne m’empêchera de résister quelles que soient les circonstances parce que ma conviction demeure, comme au premier jour, intacte !!!

Au même titre que toutes les autres décorations qui ont, en grande partie, récompensé et donc reconnu le travail que j’ai entrepris jusqu’à aujourd’hui, celle-ci contribuera, je l’espère de toutes mes forces, à surmonter les obstacles qui continuent de jalonner mon parcours et handicapent ma progression vers l’objectif ultime que je me suis fixé : vaincre la drépanocytose !

Je dirai, enfin, s’il est vrai que l’espoir fait vivre, à mon modeste niveau, il me permet d’envisager l’avenir avec sérénité, au regard des petites victoires que nous avons remportées, mon association et moi-même, tout au long de ces 3 décennies passées à faire connaître la pathologie au grand public et à sensibiliser nos gouvernants.

Pour clore mes propos, je souhaite adresser mes plus vifs et chaleureux remerciements à monsieur Roux, de même que je salue respectueusement toutes celles et tous ceux, connus ou anonymes, qui ont fait leur le combat que je mène depuis mon arrivée à la tête de l’APIPD.

Ce n’est pas sans une certaine émotion que je vous dis un immense ‘’MERCI’’ à tous !!!

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